Conversation avec JEAN-LUC VILMOUTH - Morgane Rousseau

Morgane Rousseau Paris
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Morgane Rousseau
Jean-Luc Vilmouth


MR

Ton dessert a des couleurs qui mettent en appétit et derrière la couleur ce sont des mélanges de molécules loin d'être simples à maîtriser.

JLV

J'ai tendance à distinguer ce que je vois des apparences ce qu'il y a à  la surface et ce qu'il y a en profondeur, je suis curieux des qualités de ce que j'ingurgite. Le processus de transformation chimique des molécules dans l'organisme a forcément un impact au niveau du gout, en dépit de la complexité de ces processus invisibles qu'on ne maitrise pas, il y a un émerveillement, un plaisir enfantin et immédiat à manger un bon dessert.

MR

Tu te qualifies comme augmentateur. En cherchant à apporter un complément à  l'objet plutôt que de le transformer.

JLV

J'aime la notion d'augmentateur parce que je pense que c'est un peu à la position d'artiste. La plupart du temps, je pars du réel pour l'augmenter, avec d'autres points de vue possibles, de nouvelles réalités, lui donner de la puissance pour questionner notre monde.

MR

Sculptures, installations, vidéos ou performances. D'ailleurs je n'ai jamais vu aucune de tes performances. Le tableau de Beaubourg c'en est une?


Jean Luc Vilmouth, café Little Boy.
Présenté au Centre Pompidou et au Musée Municipal de Kyoto


JLV

Oui c'est vrai que l'on pourrait dire qu'il y a du performatif dans Café Little Boy dans la mesure où le public est invité à  participer à  son élaboration dans le temps. Ce n'est pas une spécialité, mais il m'est arrivé plusieurs fois de faire des performances dans l'ensemble de mon travail. En fait cela dépend de la nécessité du moment.

MR

Comment tu remets en question le rapport à l'objet et sa place dans notre société.

JLV

J'ai toujours été très intéressé par l'ethnologie, surtout des lectures comme celles d'André Leroi-Gourhan (le geste et la parole!) et c'est probablement ce qui m'a amené à questionner mon environnement quotidien. L'idée c'était de partir de quelque chose qui est déjà  là autour de moi, donc que ce soit des objets, des architectures, des histoires, la nature et ça !

MR

La première pièce que j'ai découverte c'était Llescalier autour du palmier. D'ailleurs j'ai le catalogue dans lequel cette oeuvre est en couverture. Un point de vue que tu proposes ou un point de non vue. Je veux dire pour moi que l'on ne peut pas aller plus loin. On ne peut que redescendre.

Jean Luc Vilmouth
autour d'un palmier 1 (1989), Villa Arson

JLV

Pour moi cette pièce encore plus que d'autres est vraiment la réalisation dâ'un rêve, un rêve qui vient de l'enfance, parce que je suis originaire d'une région où il n'y pas de palmier. Et j'ai toujours révé de pouvoir grimper à  cet arbre qui était tellement exotique pour moi, mais comme il n'y avait pas de branche, j'en étais frustré. Le fait d'enrouler un escalier hélicoédal autour de son tronc nous permet de monter dans l'arbre jusqu'à se retrouver sous ses palmes. Je propose un point de vue qui est celui du palmier, c'est une expérience particulière, et à  la montée quand on se retrouve autour du tronc on a vraiment une autre perception.

MR

Je te considère aussi comme un architecte. Que ce soit au travers d'un dispositif qui amène le visiteur à percevoir la sculpture comme une sorte de greffe architecturale avec l'escalier métallique autour du palmier de la villa Arson.

JLV

Pour moi il n'y a aucun problème à  être aussi considéré comme un architecte ou autre parce ce que de nos jours les frontières ne sont plus aussi nettes. Ce qui m'intéresse, c'est de proposer des expériences, de fabriquer des expériences, de poser des questions à savoir comment continuer à vivre sur la planète. C'est vrai que l'escalier autour de palmier fonctionne un peu comme une sorte de greffe architecturale, une sorte de mariage entre culture et nature.

MR

Un escalier rend accessible le toit transformé en terrasse et offre une vue panoramique sur la baie et le marais. C'est amusant dans les années 90 les escaliers allaient nulle part alors que maintenant ils nous emmènent sur le toit du moulin de la Croix, édifice du XVIIIe siècle, qui fait face à  la baie du mont Saint-Michel.


Jean Luc Vilmouth, Le Belvédère des Ondes, ST Benoit des Ondes


JLV

A l'image des mouvements de la mer et du vent je souhaitais rehausser la forme géométrique et désormais épurée du moulin par un garde corps en acier corten, le transformant ainsi en objet nouveau entre architecture et sculpture. En faisant écho aux mouvements de la mer et du vent, les deux éléments qui ont modelé le paysage de Saint Benoit des Ondes. Partant des fonctionnalités habituelles d'un garde corps, je voulais concevoir une sorte d'aura cinétique avec ces ondulations qui accompagnent l'ascension.

MR

Les deux énormes cheminées en tours déobservation. Mais pour observer quoi en réalité ? L'usine qui l'entoure?

JLV

Pour Comme 2 Tours les deux cheminées fonctionnent en effet comme des tours d'observation à  partir desquelles je propose des points de vue sur la ville tout autour. La ville de Châtellerault est très plate et la plateforme qui unit ces deux cheminées une fois que l'on se trouve en haut de cette ascension est le point le plus élevé dans la ville. Ces cheminées fonctionnaient comme le coeur de la ville, puisque c'était la fumée qui s'en échappait qui donnait le tempo de l'économie locale. Dans ce cas aussi le fait de pouvoir se déplacer autour de ces cheminées à une telle hauteur est une nouvelle expérience.

MR

C'est incroyable comme avec la maquette du fort Vauban de Saint-Vincent-les-Forts je me suis sentie projetée dans le passé.


Jean Luc Vilmouth, Le Fort Vauban de Saint-Vincent-les-Forts.


JLV

Quand j'ai visité le Fort Vauban de Saint-Vincent les Forts je n'arrivais pas à visualiser l'ensemble, je ne pouvais voir que des fragments de ruines éparpillées dans le paysage. C'est en survolant l'ensemble en deltaplane que l'idée m'est venue de disposer une maquette réalisée en bronze sur un gros rocher dans une certaine proximité. Dans cette proposition on peut passer d'une échelle à  une autre, d'un point de vue historique à  un autre.

MR

Tu es content de ta dernière expo au Japon? Comment les Japonais conçoivent ton travail par rapport aux Européens?

JLV

Je suis content de ma dernière exposition au Japon qui est une exposition de groupe à Kyoto : Parasophia, dans laquelle je présente une installation dont nous avons déjà  parlé qui est aussi présentée au Centre Pompidou dans une sorte d'effet miroir et qui en fait donne un sens particulier dans le contexte Japonais: Café Little Boy. L'origine de cette installation est un tableau d'école qui a survécu à l'explosion de la bombe atomique d'Hiroshima et dont les survivants se servaient pour laisser des messages aux proches, famille etc. Cela fait maintenant bien plus de cent fois que je me suis rendu dans ce pays, ma première exposition personnelle date de 1983. J'ai toujours encore la même fascination de mes premières rencontres avec le Japon. Le Japon est un pays qui est parfois très rude, mais d'une manière générale j'aime les Japonais, les rituels, le coté Zen, les jardins, la nourriture. Alors peut-être que les Japonais ressentent des points communs !

MR

Je sais que tu 'intéresses au cinéma Japonais. Hayao Miyazaki qui a dit que les années de paix que traversent le Japon depuis la 2ème Guerre Mondiale lui a permis de pouvoir travailler autant. Il a aussi rajouté avoir été très chanceux de vivre les derniers moments où on pouvait faire des films avec du papier, un crayon et une pellicule.


Nausicade la vallée du vent / Princesse Mononoké.


JLV

Ce que j’aime dans les films de Hayao Miyasaki c’est son sens de l’émerveillement, la puissance de son imaginaire, la beauté de ses images qui nous transporte dans le monde de l’enfance, tout en traitant des questions importantes quant à la survie de la planète comme par exemple dans Nausica de la Vallée du Vent.

MR

Tu réalises aussi des films. Le cinéma Japonais est une belle source d'inspiration.

Je sais que tu aimes le réalisateur Ozu. D'ailleurs, Je suis totalement fascinée par son acteur Chishu Ryu qui est un monument.


Le Gout du Saké, Ozu


JLV

A chaque fois que je regarde les films d’Ozu je suis fasciné par la simplicité, les cadrages, les jeux d’acteurs ainsi que les dialogues.

Il y a trois ans quand je travaillais au tournage de mon film dans la région de Fukushima j’ai passé une après-midi entière à revoir la plupart des films d'Ozu avec les étudiants en cinéma qui participaient au tournage pour leur donner une ligne à suivre pour l’utilisation de la caméra. Après un visionnage je me dis waouh… c’est tellement comme dans la vie.

MR

Je pense à l'acteur exceptionnel qu'est Shimura dans le film Watanabe. Le personnage s'ouvre à la vie quand il apprend sa mort à venir, il accepte son destin et ses actions passées aideront les autres à mieux vivre. Dans le début du film sa mort ne signifie pas la fin de la fiction et dans la fin du film, Kurosawa démultiplie les points de vue pour raviver le souvenir du défunt. C'est grandiose.


Vivre de Akira Kurosawa, Takashi Shimura.


JLV

Nous sommes tous appelés à construire le sens de notre vie, et ce film: Vivre de Kurosawa, nous démontre l’urgence de trouver des solutions à notre existence avant qu’il ne soit trop tard. L'acteur est très fort pour nous transmettre ses émotions, je le regarde un peu comme un performer qui sait toucher nos sensibilités.

En tout cas je me pose souvent la question à savoir: comment exister… et pour moi l’art nous aide en quelque sorte à nous orienter dans l’existence.

MR

Comment envisages-tu le lien entre l'histoire et le paysage. Les changements affectent le paysage en fonction des variations climatiques et de l'activité humaine directe ou indirecte. C'est plutôt l'histoire entre l'homme et son milieu où tu utilises le paysage en tant qu'objet et les événements du passé comme facteurs sociaux? L’être humain est souvent un insecte sous la caméra d’Imamura. son univers est peuplé de tout un bestiaire symbolique.


L'anguille de Shohei Imamura.


JLV

Quand j'utilise le paysage comme objet, c'est pour le montrer avec d'autres perspectives, d'autres manières de pouvoir l'appréhender. Les facteurs sociaux qui affectent le paysage m'intéressent, mais aussi la politique énergétique, l'économie, l'écologie. Je viens de réaliser un film dans la région de Tohoku, dans une petite ville dans la préfecture de Miagi à  environ 50 km de Fukushima Dachi. Bien sûr la nature a joué un grand rôle dans les événements du 11 mars 2011 qui ont tant affecté le paysage où l'on avait une impression d'après l'apocalypse. Cependant ce qui est pour moi la plus grande modification dans ce paysage (qui devait être magnifique et que j'ai eu 'occasion de parcourir dans tous les sens) est invisible et c'est la plus dangereuse: la radioactivité. C'est de cet invisible dont j'ai voulu rendre compte, rendre visible l'invisible

MR

Et cette pièce réalisée à  Bionnay avec les moutons. "Autour d'un arbre". Re-transposée aujourd'hui dans le jardin d’Hôtel particulier Montmartre. C'est intéressant de voir et vivre avec un événement qui a eu lieu 15 ans auparavant qui répète une histoire racontée. C'est un conte?

JLV

C'est vrai qu'il y a quelque chose dans cette pièce qui évoque l'idée d'un conte, l'idée et la réalisation de cette pièce est déjà  une sorte de conte. C'est à partir de la laine des moutons qui vivaient dans le paysage de ta résidence à Bionnay que j'avais demandé à faire tondre pour être enfin tricoté autour d'un tronc d'arbre pour lui tenir chaud. Cette grande image suspendue dans le jardin de l'Hôtel Particulier nous raconte un peu cette histoire. Je tenais beaucoup à ce support transparent sur lequel est imprimé la photographie, ce qui permet une belle incrustation dans le paysage, nous pouvons aussi percevoir ce qui est derrière l'image.

Morgane Rousseau commissaire d'exposition jardin Château de Bionnay Jean Luc Villemouth
Jean Luc Vilmouth, " Autour d'un arbre"
Hotel Particulier Montmartre
Cette conversation n’a jamais pu être éditée, suite à  un piratage sur le site DIAPO.
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