Conversation avec MARTINE ABALLEA - Morgane Rousseau

Morgane Rousseau Paris
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Morgane Rousseau
Martine Aballéa

MR

La premièe fois que l'on s'est rencontrés, c'était je crois au musée de Lyon par l'ntermédiaire de Georges Ray.

MA

Oui, à  Lyon, peut-être à  la biennale de 1997, et par Pascale Cassagnau aussi. On s’est rendu à  ton château.



MR

Ah oui, Pascale avait même fait faire une visite de l'exposition OUVERTURE à  des visiteurs. Elle avait été formidable dans le rôle.

J'ai découvert pour la première fois ton travail à  travers de grandes photos qui étaient accrochées à la biennale de Lyon. C'était magique et poétique bien que je n'aime pas particulièrement ce terme "poétique". Elles étaient placées là  comme pour être à  part de l'exposition même. Un univers fantasmatique et si intime que j'en étais bouleversée, avec une fragilité due au liquéfiant introduit dans les paysages réalistes avec des couleurs imaginaires. Toute une histoire dans laquelle je me suis retrouvée projetée.

MA

Poétique ! J’aime la poésie mais je n’ai jamais tenté d’en faire. Par contre ce qui me guide quand je travaille, c’est plutôt une logique, un langage qui raconte une histoire. Je suis une écrivain raté ! J’aime énormément l’art et je suis heureuse d’être artiste, mais J-L Borges, par exemple, est également important pour moi. Certaines de ses nouvelles sont d’extraordinaires oeuvres d’art conceptuel, d’autres suggèrent l’hypertexte. Le montage de cette biennale était super avec Harald Szeemann et son équipe.


Jorge Francisco Isidoro
Luis Borges Acevedo

MR

Borges privilégie l’aspect fantastique du texte poétique, rejetant une écriture rationnelle qu’il juge insuffisante et limitée. Un écrivain rédige des ouvrages littéraires ou scientifiques mais, certaines formes d'écriture ne sont pas forcément littéraires. D'autre part, avec les nouveaux médias autres que les livres, les textes, sons et images induisent largement l'extension de la notion d'écrivain. Cesont ces phrases accompagnant tes photos qui créent un doute quant à  leurs significations. Ta part d'écrivain parle de vie secrète, de mort, d'empoisonnement, d'amour et de vengeance. Ce sont des histoires qui se déroulent sur une image fixe. J'irai aussi volontiers vers une empreinte cinématographique. D'ailleurs, quelques unes de tes photos avec néons qui structurent l'espace me plonge dans l'univers de Lars von Trier dans son film Dogville où il utilise un décor minimal pour raconter l'histoire de Grace qui se réfugie à  Dogville. Une ville imaginaire avec un seul accès, une route. Tout est simulé par des lignes tracées sur le sol et une légende pour les objets.



MA

Je m’intéresse à  toutes les formes de texte de l’étiquette et du mode d’emploi jusqu’au scénario en passant par le feuilleton. La poésie est à  part ; je l’aime mais je n’en fais pas. Certains trouvent mes travaux poétiques mais je n’ai jamais cette intention. Par contre je m’intéresse aux associations de mots, A  ce qu’elles peuvent évoquer. J’aime l’ambiguité et les phrases que l’on peut lire de différentes manières.

Effectivement ça pourrait être vu comme une empreinte cinématographique. Comme un fragment de film. Les premières images que j’ai produites s’appelaient "Affiches pour des films qui n’existent pas encore", et les premières étaient effectivement cela. Je voulais faire des films, mais c’était terriblement cher. Après j’ai compris que je n’avais pas besoin. C’est aussi une technique que j’avais vu chez Borges : plutôt que d’écrire une encyclopédie d’une complexité infinie, il écrit une nouvelle qui décrit un tel livre.

MR

Ton univers se rapproche aussi du cinéma de Tim Burton par ses univers fantasmagoriques.

MA

J’aime Tim Burton, mais pas nécessairement tous ses films. Je me sens plus proche de cinéastes comme David Lynch ou bien Guy Maddin et Aki Kaurismaki. Ce sont des artistes qui arrivent à  convoquer une ambiance tout à  fait particulière, inquiétante mais plaisante. C’est ce même résultat que je tente de créer avec mes travaux.


David Lynch / Twin Peaks


MR

Lynch joue sur les apparences évidemment trompeuses, les personnages ayant souvent une deuxième nature. Il y ajoute une poignée d’esprits maléfiques et plonge le spectateur dans un univers hallucinant et halluciné, avec, en point d’orgue, les scènes surréalistes. Et pour Guy Maddin c'est parce qu'il a réussit à  imposer une Oeuvre poétique, lyrique, surréaliste et personnelle, mêlant une imagination débordante aux plus profonds désirs non-refoulés ? Dans ses meilleurs films, Aki Kaurismaki rejoint le naturalisme selon la conception deleuzienne qui en fait une forme de surréalisme.

MA

J’aime ces réalisateurs car ils nous plongent dans une logique différente de celle que nous connaissons, mais que nous acceptons facilement. Leurs films sont plus de l’ordre du rêve que de la réalité.

MR

Certains artistes trouvent de nouvelles idées, de nouveaux participants comme j'ai eu cette chance de vivre cette expérience de l’ Hôtel Passager au Musée d'art moderne de la Ville de Paris. C'est un nouvel endroit dans le discours artistique que de faire un hôtel dans un musée.

MA

Je ne sais pas. On m’a donné un grand espace –500m2, et j’ai voulu le rendre encore plus grand en y installant un labyrinthe. Il était en fait assez simple, les consignes de sécurité étant strictes.

J’ai tout de suite pensé à  en faire un hôtel. Je voulais que les visiteurs se l’approprient, goûtant du sentiment d’ailleurs et d’aventure qu’on peut ressentir dans ces lieux.



Martine Aballéa / Musée d'art moderne de la ville de Paris


MR

Ce projet reste-t-il dans le monde de l'art ou bien en est-il sorti pour intégrer autre chose ?

MA

Pour moi il n’a de sens que s’il reste dans le domaine de l’art.

MR

Par cette installation on peut dire d'une certaine façon que tu as changé et fait évolué le monde de l'art par sa nouveauté. Mais rien ne prétend que le monde de l'art a compris ce qu'il a consommé. Ou est-ce que tu t'es servie des spectateurs pour en fait aller au delà  de l'exposition et que cela devienne une performance.

MA

Je ne pense pas que j’ai fait évoluer le monde de l’art ! Ce n’est pas non plus une performance. Mes travaux sont principalement des amorces de fiction, un début que le visiteur continue et termine à  sa façon. C’est un jeu qui se situe entre la réalité et la fiction. Je suis heureuse quand je vois des gens s’impliquer dans mes travaux. A l’hôtel Passager, beaucoup ont fait des siestes dans les chambres, d’autres s’en sont servi comme bureau, et il y a même eu des histoires d’amour ! La messagerie a aussi beaucoup fonctionné – on a du faire imprimer des enveloppes supplémentaires.


Martine Aballéa

MR

Au château de Bionnay tu avais installé dans le grand salon des photographies et diverses substances actives qui entendaient prendre possession du lieu. Subtil mélange d' éléments réels, de science, zone fluctuante de possibilités où tu aimes à  situer des histoires. Il y avait aussi une musique d'ambiance répétitive pour plonger le spectateur dans un environnement fantastique et tu avais obstrué les vitres par des papiers de soie de couleurs douces qui donnait une lumière toute particulière. Cette installation est devenue par je ne sais quelle raison de la nature réel. Les bouteilles de vin exposées dans le salon avec comme phrases sibyllines sur les étiquettes qui se superposent comme des invitations "Foudre viviante". Ce fut une performance de la nature d'avoir reçu la foudre sur le toit de la tour la plus proche de ton installation.


Martine Aballéa/ OUVERTURE / Château de Bionnay


MA

Le « vin » consistait en un liquide turquoise pâlee au goût de violette. Il s’appelait Foudre vivante pour évoquer l’électricité, l’énergie. Plus tard j’ai appris que foudre signifiait aussi un grand tonneau de vin. Quant à  la foudre qui a frappé le château, c’est effectivement la réalité qui rejoint la fiction.

MR

Aujourd'hui la chambre 4 de l'Hô´tel Particulier Montmartre est devenu un jardin suspendu par ta photo d'arbres magiques que nous avons fait réaliser en tapisserie. J'ai dormi plusieurs fois dans cette suite et je me sens flotter dans un espace aérien, lumineux, doux et fleuri. Que l'intérieur et l'extérieur se confondent. Cette expérience nous fait se rendre compte a quel point ton oeuvre est traversée de part en part par l'image de la nature. Une vision idéaliste de la nature.


Martine Aballéa / suite 4 / Hôtel particulier Montmartre

MA

La nature me fascine, en particulier le règne végétal. Celui-ci est généralement considéré comme inférieur au règne animal, mais en fait on commence juste à découvrir l’univers des plantes. Il est extraordinairement riche et structuré. Ma vision n’est  pas idéaliste – il n’y a pas de morale dans la nature, et certaines plantes sont remarquablement vicieuses.
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